La douleur ne commence pas toujours là où nous le pensons. Dans Making Sense of Suffering (1991), le thérapeute suisse J. Konrad Stettbacher expose une vérité : les traumatismes précoces - ces blessures discrètes au cœur de l'enfant - paralysent l'âge adulte, engendrant la peur, la rage et même des cicatrices physiques. Le refoulement ne l'enterre pas ; il s'envenime, tordant la vie par l'anxiété, la violence ou l'engourdissement du cœur. Mais il y a un moyen d'en sortir, affirme-t-il, non pas par l'intermédiaire d'experts, mais à l'intérieur de soi. En redécouvrant nos sentiments enfouis, nous pouvons reconstruire notre passé, répondre à nos besoins primaires et guérir. C'est une promesse audacieuse de la part d'un livre qui s'adresse aussi bien aux parents qu'aux aidants et aux survivants : la liberté de souffrir, trouvée seul, à travers les échos de ce que nous avons ressenti autrefois.
L'écho durable d'une blessure précoce
Le traumatisme n'est pas d'abord bruyant - c'est un nourrisson affamé qui réclame du lait et qui se heurte au froncement de sourcils de sa mère et à un biberon trop chaud pour être supporté. Stettbacher dépeint cette scène dans Making Sense of Suffering (pp. 33-34) : un enfant, les larmes aux yeux, s'étouffe en avalant un liquide brûlant, la bouche brûlée, la confiance rongée. Ce n'est pas seulement un mauvais moment, c'est une blessure, gravée dans le corps et l'âme. La chaleur n'apaise pas, elle surstimule, endurcit l'enfant contre sa propre nature. Cette tolérance accrue pourrait plus tard l'inciter à fumer ou à adopter d'autres habitudes, un poison lent né de la précipitation d'une mère au lieu de son confort.
Les dommages doublent. Physiquement, il y a des cicatrices - les membranes muqueuses sont touchées, ce qui déclenche des réactions excessives latentes qui mettent le système à rude épreuve. Sur le plan émotionnel, c'est le souvenir d'un visage sinistre, d'un regard accusateur lié à tous les besoins futurs. La faim se transforme en peur, un réflexe de fuir ce qui devrait être sûr. Stettbacher appelle cela un coup porté à l'intégrité de l'enfant - ses premier et deuxième niveaux, le corps et les sentiments, déformés par la personne même qui est censée le protéger. Ce n'est pas rare ; c'est une racine, un germe d'anxiété, de dépression ou de rage qui persiste à l'insu de tous.
La longue ombre de la souffrance
Ce qui commence petit devient lourd. Dans le livre (p. 33), Stettbacher énumère les conséquences : la peur et l'épuisement nous poussent, les crises de colère ou le désespoir nous harcèlent, l'obéissance ou la résignation nous enferment. Nous sommes contraints - inconsciemment - de suivre, de servir, voire d'"aimer" ce qui nuit, alors que l'amour véritable nous échappe. La rage éclate, la violence couve, ou nous nous fermons, incapables de ressentir. Certains deviennent obsessionnels, d'autres souffrent physiquement, le corps pleurant ce que l'esprit ne veut pas dire. Ce n'est pas un hasard, c'est une répression, une astuce de survie de l'enfant qui s'est transformée en chaîne pour toute la vie.
Ce n'est pas abstrait. Ce nourrisson brûlé, endurci trop tôt, peut devenir insensible aux besoins ou se déchaîner, la méfiance étant profondément ancrée. Le livre décrit ce phénomène comme une perte de liberté : nous ne façonnons pas notre vie, mais nous évitons une douleur ancienne. Les parents le voient dans les crises de colère, les psychologues dans les schémas, les survivants dans leurs propres cicatrices. Le point de vue de Stettbacher est clair : les blessures précoces ne s'estompent pas - elles persistent, invisibles, jusqu'à ce que nous y fassions face.
Guérir par les sentiments
Mais voilà, il est possible de se libérer seul. Making Sense of Suffering n'est pas un appel à des chaises de thérapie ; c'est un guide pour se sauver soi-même. Stettbacher nous incite à déterrer ces sentiments - les vrais, enfermés - et, avec eux, la vérité de notre enfance. Reconstituez l'histoire, dit-il : cette bouillotte, ce regard sinistre, la peur qu'elle a engendrée. Il faut le ressentir, et pas seulement le penser. En agissant ainsi, nous retrouvons nos besoins primaires - le confort, la sécurité, l'amour - et commençons à guérir. Ce n'est ni rapide ni facile, mais c'est à nous de le faire.
Le résultat est clair (p. 33) : plus de compulsion aveugle, plus de désespoir, plus de haine, plus de laisse d'épuisement. Les crises de colère s'estompent, l'obéissance s'accroît, la peur perd de son emprise. Nous façonnons notre vie, librement, en aimant ce qui en vaut la peine - et non ce qui est forcé. C'est une carte qui s'adresse à tous - parents décodant les cris d'un enfant, aidants repérant les racines, survivants recherchant la paix. Le livre insiste sur le fait que les professionnels ne sont pas la clé, ce sont vos sentiments qui le sont. La douleur du nourrisson, une fois pleinement ressentie, perd de son emprise, troquant le fardeau contre la clarté.
Pourquoi ça marche
La logique de Stettbacher est crue : le pouvoir du traumatisme réside dans la dissimulation. La répression - le fait d'enfouir ce souvenir de lait chaud - le maintient en vie, comme un fantôme qui tire les ficelles. Le fait de l'évoquer, de le ressentir, coupe ces liens. La bouche brûlée n'est pas seulement une histoire ; c'est un indice qui explique pourquoi le besoin déclenche la panique, pourquoi l'amour est risqué. Reconstruisez cette histoire, et le système se débloque - pas de réactions excessives, pas de peur constante. Le corps se détend, l'âme respire. Il ne s'agit pas de s'endurcir, mais de se désendurcir, de se réaligner sur ce qui est naturel.
Prenons l'exemple d'un nourrisson : son seuil de chaleur élevé l'a déformé - peut-être jusqu'à la cigarette, peut-être jusqu'à l'engourdissement. Le fait d'y faire face renverse la situation. L'exemple du livre n'est pas unique ; il s'agit d'un modèle - des soignants qui ne répondent pas aux besoins, ce qui entraîne des dommages. La guérison n'est pas dans l'oubli, mais dans le souvenir, jusqu'aux larmes. Stettbacher parie sur ceci : nous sommes câblés pour ressentir, et le fait de ressentir corrige le mal.
Pourquoi c'est important
Il ne s'agit pas de l'histoire d'une seule vie, mais d'un regard sur plusieurs. Les retombées des traumatismes précoces - peur, rage, maladie - touchent les parents, les enfants, les aidants, les survivants. Making Sense of Suffering est important parce qu'il redonne le pouvoir. Pas de divan, pas d'expert - juste vous, votre passé, votre traitement. Ce livre s'adresse à la mère qui s'est précipitée, à l'enfant qui s'est brûlé, à l'adulte qui se demande pourquoi l'amour pique. L'enjeu, c'est la liberté : vivre, et pas seulement endurer, sans être entravé par de vieilles blessures.
Conclusion
Making Sense of Suffering, de J. Konrad Stettbacher, met à nu une vérité : les traumatismes précoces - comme une bouillotte imposée à un enfant affamé - façonnent une vie de douleur, de la peur à la fureur. Mais ce n'est pas la fin. C'est en ressentant, et non en fuyant, que nous nous réapproprions nos histoires, nos besoins et notre personnalité. Ce joyau de 1991 n'offre pas de solution miracle, mais un chemin solitaire vers la guérison, promettant la liberté d'aimer et de vivre comme il se doit. C'est brut, réel, et c'est à nous de le revendiquer.